Etat des lieux et projet pour un meilleur contrôle et une meilleure mise en valeur.
Par Jean-Paul Liégeois, géologue
Conseiller municipal à Bouzic
Délégué au Syndicat des bassins versants du Céou et de la Germaine
1. La Fontaine de Bouzic, rivière karstique
La Fontaine de Bouzic est le nom d’une petite rivière de 500 mètres de long, affluent du Céou, remarquable à plusieurs points de vue. Sa source karstique est une exsurgence vauclusienne, nommée l’œil de la Fontaine (Fig. 1).
Figure 1 L’œil de la Fontaine de Bouzic, crue février 2021, sortant des calcaires tithoniens du causse de Florimont
Une exsurgence est l’endroit où un flux d’eau souterrain émerge à la surface. Une résurgence fait partie des exsurgences mais est liée à une perte majeure d’une rivière. Ce n’est pas le cas de l’œil de la Fontaine.
La Fontaine de Bouzic est semblable à la Fontaine de Vaucluse pour trois caractéristiques : il s’agit d’une exsurgence, l’eau sort à la surface par un syphon vertical (de l’ordre de 6 m pour la Fontaine de Bouzic) et constitue la sortie principale d’une vaste partie du causse de Florimont.
L’œil de la Fontaine de Bouzic est lié au Trou du vent, vaste cavité karstique du causse de Florimont. Les galeries reconnues actuellement font 12 km, mais de nombreuses galeries sont encore à explorer et à caractériser. La partie inférieure du réseau du Trou du Vent est noyée et une rivière souterraine y est visible (Fig. 2). Le réseau du Trou du Vent n’a que deux entrées connues, le Trou du Vent lui-même, un aven de 15 mètres de profondeur, et l’œil de la Fontaine, entrée réservée aux spécialistes.
Figure 2 La rivière souterraine dans le Trou du Vent
Le karst est une région calcaire où prédomine l’érosion chimique. En effet, le calcaire est une roche qui se dissout lentement dans l’eau. Les régions karstiques se caractérisent par la présence de grottes, voire de gouffres mais également par des dolines (petites dépressions fermées). Les régions calcaires sont fissurées en grand, ce qui permet à l’eau de former des rivières souterraines. Cette fissuration explique également les brusques variations du débit des sources karstiques, car l’eau peut transiter très rapidement dans les karsts.
La pérennité de la Fontaine de Bouzic fait qu’elle a depuis toujours constitué une source d’eau potable, les habitants des coteaux en été venant y prendre l’eau dont ils avaient besoin. Lors de la mise en place de l’adduction en eau potable, l’œil de la Fontaine a été utilisé comme source d’eau pour Bouzic et environs.
Figure 3 L’œil de la Fontaine en été, à comparer avec la figure 1
Cependant avec l’avènement du tourisme, particulièrement important en été alors que la Fontaine est à l’étiage (Fig. 3), associé à des pollutions peu contrôlables à l’époque, il a été décidé en 1991 de réaliser un forage dans la vallée de la Fontaine pour récupérer l’eau en profondeur (Figure 4). Ce forage est descendu à 400 m de profondeur et a été entièrement carotté, ce qui en fait une source d’informations précieuses.
Figure 4 L’installation de forage dans la vallée de la Fontaine en 1991 (photo René Arguel)
Figure 5 Le log du forage dans la vallée de la Fontaine
Sur le log du forage (Fig. 5), on peut voir qu’après une dizaine de mètres d’alluvions, les calcaires tithoniens (Jurassique supérieur, -152.1 millions d’années (Ma) à 145 Ma ; Fig. 6) présents en surface font une bonne vingtaine de mètres d’épaisseur. Dessous se trouve le Kimméridgien (-157.3 Ma à –152.1 Ma) qui comprend beaucoup de marnes, un mélange de calcaire et d’argile, roches globalement imperméables.
Même s’il y a des niveaux plus calcaires, le Kimméridgien ne peut être considéré comme un aquifère, raison pour laquelle le forage a dû atteindre les calcaires de l’Oxfordien (-163.5 Ma à -157.3 Ma) pour avoir un bon débit d’eau. Actuellement, le forage de la vallée de la Fontaine, géré par le SIAEP (Syndicat intercommunal d’adduction d’eau potable) du Périgord Noir, fournit 300.000 m³ d’eau par an pour l’eau potable. L’œil de la Fontaine reste néanmoins en réserve en cas de problème au forage. Ces trois dernières années, par deux fois, l’œil de la Fontaine a été utilisé quelques jours de suite pour remplacement ou entretien de la pompe du forage, sans que la population ne s’en aperçoive. Ceci explique pourquoi l’ancien petit grillage (Fig. 3) a été remplacé par un grillage plus imposant (Fig. 7) afin de protéger la source d’eau (périmètre de protection). On peut néanmoins se poser la question de son utilité réelle. Par contre, ce grillage est très efficace dans la destruction esthétique du site.
Le grillage « de protection » autour de l’œil de Fontaine
2. Le cours de la Fontaine
Le cours de la Fontaine fait 500 mètres. Il est court mais il est remarquable (Fig. 8).
Figure 8 Le cours de la Fontaine de Bouzic (document Google Earth, annoté)
Après l’exsurgence, la Fontaine cours dans une vallée à fond plat mais relativement étroite au sein des calcaires tithoniens (extrême fin du Jurassique ; Fig. 6) où elle passe à côté du lavoir (Fig. 9) puis du forage (Fig. 8).
Figure 9 La Fontaine passe à côté du lavoir qui est alimenté par une petite dérivation
Ensuite, après un angle droit, elle poursuit sa course dans une vallée plus large s’intégrant dans celle du Céou, en contournant un pré de peupliers, passant à côté des halles puis en empruntant le bief du moulin de Bouzic avant de passer sous une route et de se jeter dans le Céou. Cette confluence se fait avec un dénivelé de l’ordre de 2 mètres, formant une petite cascade, à côté dudit moulin (Fig. 10). Ce moulin, qui était une scierie après avoir été un moulin à grains début XXème siècle, est actuellement une maison d’habitation.
Figure 10 La cascade de la Fontaine se précipitant dans le Céou, à côté de l’ancien moulin
Figure 11 Le début de la dérivation dans le bourg
Figure 12 La dérivation en fossé juste avant de plonger en sous-sol jusqu’au Céou
Juste avant la route, des vannes du moulin permettent de réguler partiellement le niveau d’eau dans le bief et ainsi d’envoyer de l’eau dans le bourg via une dérivation, au travers d’un petit passage en pierre (Fig. 11) passant dans le milieu du bourg d’abord dans un petit fossé, ensuite dans une conduite en sous-sol (Fig. 12 ; Fig. 8). Cette dérivation a dû être bien utile, comme elle l’est encore aujourd’hui, aux habitants du bourg pour l’irrigation de leur jardin etc.
D’autres dérivations existaient par le passé. Si elles ne sont plus utilisées, on en trouve les marques physiques ainsi que le souvenir de leur utilisation pour irriguer champs et vergers il y a quelques décennies. C’est le cas au tournant à angle droit (Fig. 13) ou encore au milieu du bief (Fig. 14).
Figure 13 Dans l’angle droit pris par la Fontaine, une grosse pierre taillée marque un passage d’irrigation. L’eau passe par-dessus lors des crues comme sur cette photo
Figure 14 L’encoche au milieu du bief, trace d’une ancienne dérivation de hautes eaux
Plus fondamentalement, le cours de la Fontaine s’avère entièrement artificiel. Il est en effet, dès le début entouré de talus lui imposant son cours. Sauf lors de ses crues où elle s’en échappe (Fig. 15).
Figure 15 Lors de ses crues, la Fontaine envahit sa plaine alluviale naturelle
A cette occasion, on peut se rendre compte que la Fontaine envahit sa plaine alluviale naturelle (Fig. 15) et que le talus n’est qu’un artefact de régulation. On peut donc raisonnablement penser qu’à l’origine toute cette zone entre l’exsurgence et la confluence avec le Céou était une zone humide rythmée par des inondations régulières qui devait être riche du point de vue naturel mais peu accueillante pour l’être humain.
Ce qui pourrait être à l’origine du nom de Bouzic, qui provient de bosiga ou boiga en occitan, noms qui désignent une friche (Nollet, 2010). Vu le caractère pérenne de l’exsurgence, les hommes ont dû un jour transformer cette faiblesse en force en canalisant la Fontaine, dégageant une plaine fertile et concentrant l’eau en période de sécheresse, ainsi aisément utilisable.
Cette canalisation est très ancienne, bien au-delà de la mémoire des plus anciens et de ce que leurs parents et grands-parents leur racontaient. Ceci est confirmé par la carte d’Etat-Major 1820-1866 (Fig. 16) qui indique un cours comparable à l’actuel.
Figure 16 Carte d’Etat Major (1820-1866) (Extrait d’un document Géoportail)
Figure 17 Carte de Cassini (XVIIe siècle) (Extrait d’un document Géoportail)
La carte de Cassini du XVIIème siècle 5 (Fig. 17), quant à elle, n’indique pas de cours ce qui ne permet pas d’interprétation sûre.